Des Clics de Conscience : comment deux cousins ont hacké l’action citoyenne

Des Clics de Conscience : comment deux cousins ont hacké l’action citoyenne

De la liberté de semer à l'amendement citoyen: récit de deux cousins semeurs de graines démocratiques
18 October 2017
par makesense
8 minutes de lecture

Jonathan Attias et Alexandre Lumbroso, deux cousins passionnés d’écologie, se sont intéressés au droit de semer. Ils sont partis d’une pétition, ils ont fini à l’Assemblée. Leur aventure engagée raconte un combat pour la liberté des graines, mais soulève par la même des questions démocratiques sur l’action citoyenne et le lobby citoyen. Ils font le récit de leur parcours à travers leur documentaire Des Clics de Conscience, actuellement en tournée dans toute la France.

Alexandre et Jonathan, cousins engagés.

L’histoire a démarré il y a 4 ans après avoir visionné un documentaire réalisé dans les années 80 « L’homme qui parle avec les plantes » qui faisait écho aux enjeux autour de l’échange des semences. Déjà sensibilisés à ces questions, Jonathan Attias et Alexandre Lumbroso se sont rendus au Mexique, à la rencontre du réalisateur pour produire un film qui dénonçait l’interdiction d’échange libre des semences. Cette interdiction entrave l’agriculteur dans son rapport avec la nature : il est contraint en effet d’utiliser des graines répertoriées dans un catalogue officiel qui ne propose que des semences non-reproductibles imposées par de grands industriels.

Cela pose un problème non seulement économique, l’agriculteur devant renouveler chaque année ses réserves de graines stériles d’une année sur l’autre, en les achetant à un prix imposé, mais aussi éthique, car le bio-mimétisme et l’échange de graines “naturelles” sont gage de liberté d’entreprendre et de biodiversité naturelle. Le résultat est donc qu’en l’espace d’un siècle, nous avons perdu 75 % de nos variétés potagères.

Devant ce constat, Alexandre et Jonathan sont partis en croisade en lançant une pétition sur Mesopinions.com : « Pour que les maraîchers aient le droit d’utiliser des semences reproductibles et de produire les leurs » !

Le sujet mobilise, et déjà 75 000 signatures sont collectées. Confortés par cet engouement, les deux cousins ne veulent pas décevoir leurs signataires, et tentent de rallier dans un mouvement de démarche citoyenne, le ministère, puis les parlementaires à cette cause. Jonathan et Alexandre vont alors entrer dans les coulisses du Sénat et se heurter à plusieurs obstacles pour mettre en avant leur pétition. En prenant le point de vue de néophytes en matière de process démocratique auquel le spectateur s’identifie facilement, ils filment les rouages législatifs jusqu’à l’aboutissement de leur projet avec l’adoption par le Sénat de leurs amendements. Avec, comme objectif, la mise en oeuvre d’un processus, qui réussirait à l’avenir faire résonner la voix citoyenne à l’Assemblée de façon durable.

Le documentaire Des Clics de Conscience exprime deux combats, celui pour la liberté de semer, et celui pour la démocratie participative citoyenne. Peux-tu nous raconter comment tu as pu les lier et les rendre complémentaires ?

Jonathan : Plus la réalisation du film avançait, plus l’idée d’aborder ce sujet par le prisme de l’action citoyenne est devenue une évidence. La question originelle est de se demander à qui appartiennent ces semences : en l’occurrence il s’agit d’un bien commun, qui ne peut donc pas être la propriété de quelqu’un. L’utilisation qui est en faite doit être démocratique. Les graines constituent la base de la vie. Pendant longtemps les médias mettaient le curseur sur les pesticides et les OGM, en délaissant ce patrimoine essentiel que sont les semences; en les abandonnant on se déracine de soi, comme une amnésie de tout ce terroir dont on dispose et qui nous apporte la vie. Les semences et la démocratie sont indissociables, ils ont besoin d’un terreau pour prospérer.

La grande chaîne de magasin Carrefour a elle aussi lancé une pétition qui appelle à la liberté de semer. Que pensez-vous de cette initiative ?

J : De la part d’une marque telle que Carrefour, c’est clairement du greenwashing. Ils axent leurs pseudo-revendications sur la commercialisation des légumes oubliés. Or, ces légumes ont toujours pu être commercialisés, le problème est l’exigence de traçabilité qui oblige l’agriculteur à justifier les provenances de chacune de ses semences qui doivent par ailleurs obéir à la norme DHS (Distinction – Homogénéité – Stabilité). La standardisation et le contrôle excessif de la production sont les vrais problèmes. Cet appel n’est qu’une opération marketing placée dans l’air du temps et d’une portée purement cosmétique.

Ces grands groupes devraient plutôt encourager les agriculteurs à échanger des graines pour renouer avec la diversité des offres de fruits, de légumes et de céréales. Le problème n’est pas pris à la base. Enfin, Carrefour est assez mal placé pour tenir ce discours en ne payant pas les producteurs au juste prix et en engrangeant des marges astronomiques appliqués notamment sur les produits bio…

La standardisation et le contrôle excessif de la production sont les vrais problèmes. Cet appel n’est qu’une opération marketing placée dans l’air du temps et d’une portée purement cosmétique.

Vous avez utilisé la pétition pour faire valoir vos idées, pensez-vous que cet outil a été décisif dans vos actions politiques ?

J : C’est un outil dont on a besoin en général au cours d’une mobilisation, mais aucunement une fin en soi. La pétition permet de rassembler du monde autour d’une action et de forcer l’accès aux politiques plus facilement. Malheureusement il n’y a pas encore de loi qui encadre ce type de démarche qui engagerait le gouvernement à y donner des suites. Il s’agit donc d’un outil parmi d’autres. Il faut d’abord connaître l’agenda parlementaire pour savoir à quel moment soumettre nos idées, ensuite il faut s’entourer de juristes pour la rédaction du projet. C’est un exercice qui ne s’improvise pas et qui répond à un certain formalisme. Une fois mis en forme, il peut être proposé sur une plateforme comme Parlement & Citoyens, et soutenu par des actions de sensibilisation des députés (envois de mails) grâce à nos mobilisés afin de réunir le plus de soutiens. La pétition rentre dans un process, mais n’est donc pas une finalité, même si le citoyen est le coeur de la mobilisation.

Au fil de ton projet, toi et ton cousin avez appris toutes les étapes de ce process. Penses-tu que maintenant qu’il est clair, il peut être facilement reproductible ?

J : Effectivement on s’est épuisés en cherchant toutes les informations, maintenant on est prêts pour une nouvelle action. Par exemple nous ne perdrions pas de temps à faire passer la pétition au ministre, ou tout miser sur le vote au Sénat.

On a maintenant identifié une méthodologie qui est assez claire et que nous aimerions communiquer aux gens pour qu’ils puissent avoir une action sur la législation. La mise en lumière d’un sujet via une pétition permet la mise en lumière d’une cause dans les médias, ce qui oblige le gouvernement à s’y intéresser.

Les mouvements citoyens ont de plus en plus conscience de ce contre-pouvoir, mais on compte aujourd’hui trop d’initiatives éparpillées. Il faudrait les mutualiser car elles n’ont un sens que si elles allient leurs compétences. Par exemple, Mes Opinions (site de dépôt de pétition, ndlr) pourrait travailler avec la plateforme Parlement & Citoyens, qui elle-même pourrait collaborer avec des juristes et des parlementaires dédiés. Tout cela pourrait former un mouvement dans lequel chacun trouverait sa place et que cela aboutisse sur une loi. Car, dans ce process, on a besoin de différents acteurs à différents moments.

Comment le site Parlement & Citoyens vous a permis de mettre en avant votre démarche ?

J : L’outil est très pédagogique, mais il nécessite cependant une certaine compétence en tant que juriste pour comprendre les articles qui ont été écrits ou proposer des amendements. L’idéal serait de mobiliser un groupe de juristes bénévoles pour aider les postulants à mener à bien leurs projets et à les traduire en article de loi. Pour l’instant le système est trop obscur et donc un peu trop élitiste.

Pour que les amendements soient repris par les sénateurs, les organisations (comme les associations) ont plus d’impact et de portée que le citoyen individuel. Elles sont organisées de manière à pouvoir faire pression, via par exemple des envois des mailings massifs aux sénateurs. L’idée est que les parlementaires jouent le jeu en prenant plus en compte les amendements proposés par des citoyens. On l’a vu lors de la consultation qui a été lancée. Rétablir la confiance dans l’action publique : beaucoup d’amendements ont été proposés, mais très peu de parlementaires les ont déposés.

Pour mener à bien votre amendement citoyen, vous avez été soutenus par de nombreuses personnes, dont le sénateur Joël Labbé qui croit fermement à l’apport des citoyens dans la législation. Est-ce selon vous une exception, ou pensez-vous qu’il s’agit d’une tendance générale au sein des politiques ?

J : Il a été réélu le 24 septembre, et c’est une très bonne chose car il s’agit presque de la seule réelle voix politique parlementaire qui fasse l’écho des paroles citoyennes. Sa démarche est sans doute critiquée par plusieurs parlementaires qui n’ont pas envie de voir entrer les citoyens dans le débat public. Il nous a glissé l’idée et accompagné dans notre projet, ce qui nous a permis de bien nous entourer.

Joël Labbé et Jonathan en pleine conversation sur l’action politique citoyenne.

Quels autres types d’actions peuvent selon vous mener au lobby citoyen ?

J : Nous avons essayé de mettre en place un contre-pouvoir citoyen. Pour aller plus, loin, nous allons lancer une nouvelle pétition : pour un droit d’amendement citoyen. Il offrirait la possibilité aux citoyens de proposer un texte de loi, au même titre que les parlementaires. Pour l’instant ce n’est pas le cas : le citoyen individuel doit passer par un parlementaire pour proposer son amendement ou son texte de loi. Ainsi, il pourrait exister une commission de citoyens tirés au sort qui pourrait faire un tri, puis à l’issue de cette commission un rapporteur pourrait porter ces projets.

Le problème central est qu’on n’observe pas les chambres parlementaires et leur programmes : c’est ça qui pourrait mobiliser et former les citoyens. On pourrait imaginer un programme comme une chaîne météo qui tienne informé le citoyen de ce programme. On ne s’est jamais donné le droit d’écrire des lois, il faut reprendre confiance en notre pouvoir personnel par rapport à ça.

On pourrait imaginer un programme comme une chaîne météo qui tienne informé le citoyen de ce programme.

Ateliers sur les lois citoyennes pour expliquer leur fonctionnement mis en place à partir de la semaine prochaine, par Parlements & Citoyens et Colibri à l’issu de nos projections. L’idée est d’autonomiser les gens.

Pour aller plus, loin, nous allons lancer une nouvelle pétition: pour un droit d’amendement citoyen. Il offrirait la possibilité aux citoyens de proposer un texte de loi, au même titre que les parlementaires.

Un dernier conseil pour des gens qui ont envie de faire bouger les choses ?

J : La première chose à faire est d’avoir espoir. À plusieurs reprises nous nous sommes découragés mais mon cousin et moi nous nous soutenions : avoir un projet à deux est plus facile à réaliser que seul. Seul, on va plus vite, à deux on va plus loin.

Plus concrètement, il faut s’intéresser aux lois qui sont votées. Essayer de comprendre l’agenda parlementaire, entrer en contact avec les parlementaires et les attachés parlementaires qui sont nos alliés. Quand la loi sur la biodiversité a été votée, il y a eu 900 amendements proposés. Les sénateurs ne peuvent pas tous les parcourir. Malheureusement, des lobbies travaillent avec des équipes de juristes qui déposent un lourd argumentaire pré-écrit sur les bureaux des sénateurs pour qu’ils aillent le faire voter dans l’Assemblée. Ce qui manque à Joël Labbé, c’est cette armée de juristes qui agirait pour le bien commun et pourrait les aider dans leur argumentaire. Il s’agit de rééquilibrer le rapport de force entre les politiques et les citoyens : nous avons besoin d’eux, mais ils ont autant besoin de nous, surtout les politiques minoritaires comme les écologistes.

Les parlementaires peuvent donc guider une démarche de revendication et la transformer en un article de loi.

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